• Huis Clos

    Ma participation au thème Huis-clos sur le blog TRAVEL Idil Fortin

    Maya Bld 23/12/2016

     Thème : Huis Clos

     

    Cartier-Bresson

    Huis Clos

     

    Quatre bords, quatre coins, quatre angles de papier. Tout se joue là. Piégé dans l’instant. On ne saura jamais ce qu’il y avait avant ni ce qu’il y avait après. Nous n’aurons jamais la chance d’entrer dans le secret du processus, nous, regard amateur du non initié. Nous ne saurons jamais ce qu’il y avait avant et ce qu’il y avait après mais cet instant sera éternité.

    Tout se joue là, dans le monde du visible où l’invisible est roi. Lui seul a su voir, pourtant. Lui seul a su ériger l’instant en absolu. Comment savoir, quand on le vit, que ce moment est unique ? Qu’il n’existera plus jamais ? Que cet homme qui saute au dessus de la flaque d’eau et prend son envol, cet homme en lévitation est poésie pure, vision sacrée et beauté esthétique formelle ? Quelques secondes avant, il ne savait pas voler. Quelques secondes après, la surface-miroir de l’eau sera ridée irrémédiablement, brutalisée par le contact, violée par l’impact du pied dans l’eau, la pureté ne sera jamais plus. (1)

     

    Tout se joue là, dans le monde figé de la photo. De cette photo, de cet instant.  Il y a l’homme derrière l’objectif, l’homme aux yeux royaux. L’homme aux yeux bleu pâle et au physique d’éternel adolescent. L’homme de la foule et du monde, derrière son Leica, l’homme qui savait voir mieux que personne.

    Et il y a le passant, saisi devant la photo, qui se fige comme se fige le mouvement, le passant ébloui par la poésie de l’image. Il ne verra plus jamais pareil. Parce qu’on lui a donné à voir différemment. Ce qu’il n’avait su voir seul, l’homme aux yeux différents le lui a montré. Et plus que le lui montrer, il lui en a fait don pour l’éternité. Toute la grâce du moment, la beauté pure de la composition offerte sur un bout de papier. La justesse des lignes, la droiture des formes. Les nuances et les dégradés de ce gris argentique que l’on ne peut imiter.

     

    Qu’est ce qu’une photo sinon un don ? Plus qu’un passage de savoir, un passage de regard. De l’homme qui sait voir à celui qui apprend à voir. Du voyant au voyeur. De l’initié à l’amateur. Une photo comme art poétique, comme expression d’une certaine conception de la beauté. Grâce et harmonie. Violence et brutalité. Le beau et le laid. Une foule en délire comme un tableau de Goya, toute la violence et l’humanité trop humaine du monde. Le rappel du matériel, des corps qui sont chair, de la poussière qui est saleté, de la crasse qui est vie. La grâce révélée dans le regard d’une femme, dans le saut d’un homme au dessus d’une flaque d’eau, ballerine-étoile pour un soir et pour une éternité tout à la fois.

     

    Qu’a-t-il vu à travers l’objectif de son Leica ? Il a vu le monde et il a vu la vie sous son véritable aspect, à nu sous sa propre lumière. Il a vu l’amour et la mort. La sensualité d’un paysage de France et le sable des rues mexicaines. Un corps de femme habillé d’eau. Un enfant au sourire infini rue Mouffetard. Il a vu l’humanité tout entière.

     

    Et le passant toujours posté devant la photo, le passant ne peut en sortir, s’imagine milles histoires, milles raisons ayant pu mener à ce moment, celui là, pas un autre. Il  se perd en mille conjectures mais il ne saura jamais vraiment. Cela importe  peu finalement. Ce qui importe c’est que le Voyant se soit trouvé là au bon moment. Pour passer la flamme sacré de son regard singulier aux hommes. Pour leur apprendre à regarder. Le passant est perdu quelque part entre son monde et celui de la photo. Dans un entre deux qui relève du charme et dont il ne peut sortir. Huis clos de l’image, explosion fixe, mouvement sur arrêt, infini fini, figé.

     

    Et le monde, le monde encore à voir, le monde qui continue de tourner.

     

     

    (1) Derrière la gare Saint-Lazare, pont de l’Europe (1932) Henri Cartier-Bresson

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